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Article: Tenue correcte exigée au Festival de Cannes

Tenue correcte exigée au Festival de Cannes

Tenue correcte exigée au Festival de Cannes

La nouvelle est tombée à la veille de la 78e édition du Festival de Cannes :
« Pour des raisons de décence, la nudité est interdite sur le tapis rouge ainsi que dans tout autre espace du festival (…) Les tenues, en particulier les traînes longues, dont le volume entrave la bonne circulation des invités et complique l’assise dans la salle, ne sont pas autorisées. »

Une décision qui, sur le papier, pourrait sembler anodine. Voire salutaire pour les puristes du 7e art, dont les voix s’élèvent de plus en plus fort contre la présence de célébrités et d’influenceur·euses sur les marches. Mais comme souvent, ce qui touche à la mode n’est jamais juste une question de tissu. Ce qui semble anecdotique est, en réalité, profondément politique.

Derrière les arguments de “praticité” (s’asseoir sans déborder, passer sans trébucher), c’est un autre discours qui se glisse, plus glissant : celui de la décence. Un mot à tiroirs, bien pratique pour habiller le contrôle d’un voile de bienséance. Le Robert parle de “respect des bonnes mœurs”. Le Larousse, de “pudeur” et de “dignité”. En clair : on s’habille proprement, mesdames, et on couvre ce dos nu et ces seins que l’on ne saurait voir.

Parce qu’on ne va pas se mentir : cette injonction à la décence vise (encore) les femmes. Elle ne concerne ni les smokings larges ni les chemises déboutonnées. Ce sont les robes fendues, les bustiers, les corps magnifiés qui semblent poser problème. Et au fond, qu’est-ce que la décence ? Un dos nu, c’est trop ? De la dentelle, c’est indécent ? Une robe transparente, un décolleté plongeant — où trace-t-on la ligne ?Comme pour cette fameuse “tenue républicaine” imposée aux lycéennes, la notion de décence laisse place à l’interprétation. Et derrière cette interprétation, toujours le même prisme : la sexualisation du corps féminin. Encore et toujours.

Quant à l’argument de la praticité, il a lui aussi ses limites.
Oui, une traîne de trois mètres, ce n’est pas l’idéal pour s’asseoir dans une salle de cinéma. Mais si on va jusqu’au bout de ce raisonnement, une robe cocktail — comme le suggère le communiqué — ou des talons de 12 cm, ce n’est pas exactement le comble du confort non plus.
Personnellement, quand je pense à une tenue pratique pour aller au cinéma, je pense à un bon vieux sweat, pas à ma petite robe noire.
Encore une fois, ce n’est pas la praticité du corps qui porte la tenue qu’on interroge, mais celle du regard extérieur. On demande aux femmes d’être pratiques. Pas trop longues, pas trop voyantes, pas trop. Toujours pas trop.

Et puis, rappelons que Cannes n’est pas juste un festival de films.
Sur son site officiel, on peut lire : « Le Festival s’associe plusieurs fois à la Chambre Syndicale de la Haute Couture de Paris pour organiser des défilés de grandes maisons parisiennes lors des cérémonies, et faire ainsi rayonner le patrimoine français. »

On ne peut pas d’un côté ériger le tapis rouge en rituel sacré du glamour et de l’autre exiger qu’on s’y fonde avec modestie. Le tapis rouge est un spectacle. Une ouverture, une parenthèse, voir parfois le seul accès qu’on le commun des mortels comme vous et moi à la magie de cette cérémonie, c’est en regardant les robes et les costumes qu’on a l’impression un peu d’en être.

Finalement ce glissement vers un “retour au sérieux” n’est pas anodin et semble s’inscrit dans une volonté diffuse de reprendre le contrôle : sur l’image, sur les corps, sur qui a le droit de briller. Alors que de plus en plus de voix dénoncent la présence d’influenceur·euses sur les marches, on oublie trop vite que ces mêmes créateur·ices de contenus remplissent aussi les salles. Que la culture populaire est, par définition, mouvante, hybride, parfois dérangeante. Et que le cinéma ne se protège pas en fermant la porte à ceux qui l’aiment autrement.

Alors peut-être qu’il est temps de rappeler que si l’on veut vraiment remettre le cinéma au centre, il y a sûrement d’autres façons de le faire que de décider, une fois de plus, de ce qu’une femme peut ou ne peut pas porter pour aller voir un film, si vraiment Cannes ne veut plus de la mode qu’il supprime les photographes et le tapis rouge et ne garde tout dans le secret des salles sombres.